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Griot, Fred | Cabane d’hiver

mercredi 11 octobre 2017, par sebmenard

 

 

 

 « repas chez L. et A., mes amis, qui sont aussi mes « voisins » de Causse. retour à pied dans la nuit, sous la lune, sur la neige, le vent souffle. il fait assez froid, je pense peu loin des -10, en particulier avec l’effet du vent.
le silence de fond ici, même quand le vent souffle. il imprègne, doucement.
on entendrait des papillons.

ce silence c’est le fond du cosmos.
ce n’est pas une image, mais une réalité. tangible, éprouvée, prouvée.

ce que l’on nomme espace.

 23 h
à écrire.
et tenir le feu, et le thé au chaud.

écrire en parole claire.
ça revient ça. »

 

 

 

 « ai emporté Desolation Angels de Kerouac, pour le relire peut-être. ses quelques mois, perdu là-haut, au pic, une expérience comparable. »

 

 

 

« nettoyer sa cabane c’est habiter, c’est faire, comme les bêtes, œuvre de terrier, de provisions. vivre avec. non pas avec l’environnement, c’est ici encore une idée anthropocentrée pensant l’homme et puis autour seulement « l’environnement », alors que nous sommes dedans, pas plus important, avec, parmi. encore une fois.

aujourd’hui nous en sommes encore à une vision qui serait comme pré-copernicienne : elle a commencé avec l’avènement de l’agriculture et de l’élevage où l’homme a osé se représenter lui-même, il s’est alors plu également à créer des divinités lui ressemblant, anthropomorphes, après ces grottes où il ne se figurait lui-même presque jamais… c’est qu’il s’est mis sans doute à se croire hors de la nature, à croire à sa supposée supériorité, à son apparente maîtrise. il s’est vu, à cause de son intelligente conscience, de ses progrès techniques, source unique de la vue, de l’appréhension et de la saisie du monde. il a cru que c’était son monde. il s’est vu au centre. alors que rien n’est moins vrai, ça ne tourne pas autour de lui. une grande illusion a démarré là, qui perdure dans cette notion toute moderne, et qui se développe, de « l’environnement ».

 

 

 

ensuite, conscients de leur responsabilité, les hommes ont décidé de sauver la terre. mais c’est là encore une idée en partie fausse, car il s’agit surtout de nous sauver nous-mêmes, de nous protéger de nos capacités prédatrices, destructrices, car la terre, elle, se débrouillera sans nous.

il n’y a pas d’environnement, il n’y a que du ici, du maintenant, avec tout, en même temps. »

 « « que l’on ne peut vivre et écrire en même temps, sauf à mener un journal ? cela j’aurais pu le savoir avant, peut-être même devais-je le savoir déjà, toujours est-il que c’est là que ça « rentre ». peut-être. que ce genre de chose on ne peut l’écrire qu’après, avec ce qui reste.

je ne sais pas. on verra bien. laissons faire.

immense ciel, lune énorme. 
au-dessus la voie lactée, notre galaxie. »

 

 

 

 « revenir à ce que je cherche. si je cherche encore quelque chose. »

 

 

 

 « évidemment le fantasme de solitude heureuse et de silence créatif est en partie une illusion. on s’emmerde même parfois. on le sait, on y croit tout de même, et à chaque fois on repart »

 « « dire, dire tout, sourire à essayer de dire tout, ne rien oublier, rendre compte pleinement, alors même que c’est impossible. et si nécessaire se faire greffier même de cette impossibilité-là. ne pas arriver à la boucler…

la pluie s’arrête. la toile dégoutte. »

 

 

 

 « je regarde l’intérieur de la yourte. tente de m’imprégner de cette image.
de l’ambiance, odeurs. encore une fois.
je ferme la porte, ses deux battants bleus penchés. fais tinter la cloche. dis au revoir à la cabane.
à Bébert…

c’est fini.

on descend à Millau. je prends le car. 

je rentre à Paris. avec ma hache. »

 

 

 


Griot, Fred, Cabane d’hiver, réédition publie.net, 2017.