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Bourrion, Daniel | Lieux

mercredi 7 mars 2018, par sebmenard

 « Au fond alors, centre presque géométrique, est le village. C’est là qu’on va et c’est de là, donc, qu’on ne peut pas s’échapper bien qu’on tente une sortie à chaque fois que l’occasion qui nous y amenait est passée — toujours on y retourne, bille dans son bol roulant au creux retombant pour l’éternité. Cela n’a pas de sens, on le sait bien, il suffirait de partir sans se retourner cette fois mais quelque chose toujours nous tire en arrière, le temps lui-même peut-être avec sa lourde cargaison de morts dont nous sommes issus, les livres en témoignent qui gardent traces des familles aussi loin que possible et affirment donc que les nôtres de toujours ont été connus ici, et pas ailleurs, ici, ce qui signifie que la terre qu’on voit partout est faite de ce que nous sommes et qu’en la regardant c’est soi qu’on regarde, et dans les yeux encore même si à l’heure qu’il est, ils se ferment de sommeil sur cette image, cette charrette chargée de milliers de cadavres qui sont notre chair et nous attendent surla place centrale. »

pp. 22-23

 « On joue encore avec un recoin de la nappe, c’est brûlant qu’on avale son café et cette question à chaque fois mais non, jamais de sucre, il ne reste plus à présent dans la pièce que le bruit des cuillères tournant dans ce grand vide qui est le vide du temps passant. »

p. 31

 « Au matin, on verra pas la fenêtre de la chambre où l’on vient de déposer ses affaires, où l’on écoutera la nuit glisser avec son cortège de bruits inhabituels qu’on ne connaît plus mais qu’on reconnaît malgré tout, les meuglements d’une vache, une voiture solitaire arrivant de M*** et traversant à fond de train tout droit ou presque le pâté principal de maisons aux volets clos comme nos yeux, les bousculements soudains du vent secouant par rafales le côté encore vivant des arbres en garde au bord de l’eau derrière, l’autre paraissant mort sans que cela semble empêcher quoi que ce soit, des pas parfois et même des rires mais de cela rien n’est moins sûr, on entend mal d’ici, où l’on dormira ocmme un moribond qui lâche prise, les toits alignés parallèlement à la route principale parce qu’ils dessinent le trai de la route faisant le mitan de l’un des deux autres blocs du village, ces toits dont une partie s’effondre depuis des années et qui forment une seule barre rouge grise, ce sont les tuiles moussues et les autres de neuf remplacées, de l’autre côté du ruisseau qui passant au bas des jardins de côté-çi et des près de l’autre trace une frontière qu’on peut pourtant franchin d’un unique bond — tout le monde le sait, tout le monde le fait, de l’autre côté c’est même village et même pays sans aucun doute et seulement un ailleurs qu’on s’invente et qui existe dans les têtes, bizarrement, à cause d’une eau grise boueuse de fond de la vallée, son sang en somme de triste couleur. »

p. 33

 « (…) puisque le monde excède ce qu’on peut en dire et le passé ce qu’on peut en embrasser, puisqu’à cette question, qu’à force d’écrire le monde, il finira par être vivable ?, il semble bien que la réponse soit, et définitivement, non. »

p. 54


Bourrion, Daniel, Lieux, 2018, Éditions Publie.net.