Houdaer, Frédérick | Fire notice

 « HIER
c’était l’époque de ma redécouverte
de la magie ordinaire
de la seule magie qui compte
celle qui commence par l’alimentation
je portais des chemises à fleurs
oh rien de trop voyant
nulle couleur criarde dans mes tenues
juste des motifs végétaux
des tulipes stylisées
pour qui savait voir
des arabesques de terre et de bronze
je voulais bien devenir un homme vert
à condition de garder une certaine classe
je connaissais encore le nom du président de la république
j’étais encore capable d’énumérer
ma date de naissance
mon code de carte bleue
je n’avais vu de tsunami
qu’au cinéma »

p.12

 « POUR SUSPENDRE

au nom des artistes que nous ne sommes pas devenus
cuis-ça
au nom du caca du matin dans l’œil
cuis-ça
au nom de la douleur qui s’en va pour mieux revenir
cuis-ça
au nom du courrier jamais arrivé
cuis-ça
au nom de nos travaux inachevés
cuis-ça
au nom de la bourse d’écriture
que nous n’avons pas fait l’effort de demander
cuis-ça
au nom du toubib qui pleure dans sa voiture
cuis-ça
au nom des cheveux qui bouclent par temps de pluie
cuis-ça
au nom des os qui craquent après l’effort
cuis-ça
au nom du générique dans lequel personne n’apparaît
cuis-ça
au nom de l’habit si bien porté
cuis-ça
au nom de l’enfant qui fait exprès de se perdre lors d’une ballade familiale
cuis-ça
au nom de tout ce qui est rouge dans cette pièce
cuis-ça
au nom de la bagnole de flics éternellement mal garée en bas de chez moi
cuis-ça
au nom de l’interrupteur que l’on cherche dans le noir
cuis-ça
au nom de cete prof qui m’envoie des SMS
pendant une lecture publique de Serge Pey
au nom de cette autre qui sauve sa peau
en ne se rendant plus à son bahut
cuis-ça
au nom du collègue que l’on croyait mort
que l’on croyait avoir détesté
mais que l’on croise dans un bar
avant de se pochtroner en sa compagnie
cuis-ça
cuis cela
cuis tout cela
fais réduire
généreusement »

pp. 64-66

Houdaer, Frédérick, Fire notice, 2013, Éditions Le Pont du change.