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Chants | le noir et la pluie

mardi 22 octobre 2019, par sebmenard

et j’avance dans le noir et dans la pluie
et j’aime le noir et la pluie
ce que je formule
le plus simplement possible
pour le poème et pour le noir et pour la pluie

(il y a
ces gouttes d’eau qui roulent sur ma peau
qui foncent
dans leur vaste monde
de goutte d’eau)

et ça continue cette pluie ou la vie ou le mouvement des arbres
j’essaie je sais
d’apprendre
tout ce que je peux
sur les arbres les animaux en tant que personne
je cherche je sais
mon lieu ma bio-région
mon territoire
j’y pisserai dans les coins
comme tous les mammifères
j’apprendrai à nommer toutes les plantes avec qui nous partagerons
les ressources j’ai une grande bibliothèque
pleine de livres
et je ne sais pas si elles sauront — les plantes — y trouver ce que j’y trouve
et je ris tout seul dans mon noir
sous ma pluie
pensant ça
glissant tentant de
comprendre ce cri de bête ou encore
ce que peuvent bien vivre
les oiseaux de nuit
ils m’écoutent je sais je parle
à voix haute dans le noir
les animaux sont curieux
tout à l’heure c’est comme si
j’avais retrouvé comme se parler
de l’amour
et dans le même dans temps
une chevrette je l’aperçois
à la frondaison
elle m’observe ou peut-être
me transmet
quelque chose et je ris
je parle ça dans la nuit dans la pluie
je continue ça
j’ai cru un instant retrouver le
chemin d’un abri un refuge
c’était peut-être une odeur de bois
c’était peut-être un souvenir
ANCESTRAL
par exemple l’existence d’un terrier séculaire ou la présence
d’un grand chêne
à écouter
généreux en ombre
en glands
en abri
peut-être même sous cette pluie
garde-t-il quelques recoins
au sec MAIS JE NE SAIS PAS ÉCOUTER
LA MATIÈRE LIGNEUSE
car elle parle une toute autre langue
car elle ne parle pas
elle fait
et je continue dans ma nuit dans ma pluie dans ma sueur
dans ma boue
dans ma poursuite
de l’absolue pureté du hozho mouillé
de la réalisation de Soi dans le silence
du noir
dans le rien complet de la pluie
que j’avale
nous étions probablement samouraï oui
nous savions comment pensent les forêts
c’est ancré là
c’est dans peau dans corps et dans
un quelque chose flottant
dans cette pluie ce noir où j’avance finalement
je suis bien sûr
d’être un animal

je le répète
je suis bien sûr
d’être un animal

je le répète et m’enfonce
dans la nuit
la pluie
la grande nuit
la grande pluie
je m’enfonce et passe une colline
comme s’il s’agissait de la limite d’un bassin
versant
je passe une colline pour aller porter le néant
vers d’autres lieux
je passe une colline pour ramener d’autres
savoirs et d’autres pistes à arpenter
J’ADONCQUES DEBOUT DANS NUIT M’ABREUVE
de l’eau fraîche coulant sur bouche
lèvre
peau je croque
la pomme je croque
(le goût sucré du fruit
me fait penser
à ces pommes jaunes
tâchées de rose
entassées par centaines
dans une cave
un automne
au Nord des Carpathes)
et j’avance dans le noir et dans la pluie
et j’aime le noir et la pluie
ce que je formule
le plus simplement possible
pour le poème et pour le noir et pour la pluie