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Ça se passe une nuit
jeudi 29 août 2013, par
proposition 4 : laisser entrer les personnages
Ça se passe une nuit — forcément — et celui qui racontera cette histoire est un menteur un dingue mais on le croirait tout de même : il a l’âge de crier tard le soir et finit un cigare avant de vomir contre le mur — il a l’âge de courir encore et parfois nu et c’est ce qu’il fait une nuit d’août — il a l’âge de finir une bière montre en main et d’un coup sec — il a l’âge de marcher debout pendant des heures il traverse des champs et ouvre de fer forgé d’un cimetière — il a l’âge de tout quitter mais il raconte une dernière fois son histoire et ses rêves en regardant les noms gravés dans la pierre — il a l’âge de s’enfuir et c’est ce qu’il fait une nuit après avoir pleuré peut-être (mais il s’était caché) — il s’enfuit et te laisse là — il a l’âge de rire ivre un soir allongé sur une pierre au milieu d’un cimetière et c’est ce qu’il fait et qui pour le suivre.
Ça se passe un matin — forcément — celui qui racontera ce mensonge est l’auteur des plus belles histoires et un poète qui n’écrit pas : il a l’âge de monter à la capitale et de ne plus dormir les nuits — il a l’âge de s’effondrer dingue un matin vers six heures — il a l’âge de s’accouder au bar et de faire sa commande raide en riant parce que c’est ainsi — il a l’âge d’écrire dans un message un bilan de sa première semaine seul ailleurs et loin — et c’est ce qu’il fait et personne pour répondre — il a l’âge de manger seul à la table d’une brasserie sans s’inquiéter de cette solitude mais plutôt en dégustant lentement le morceau de viande chaude posé dans l’assiette — il a l’âge de sortir une liasse de billets et de les compter derrière la vitre d’un rade (pas qu’il soit riche mais plutôt que tout est là — dans cette liasse) — il a l’âge d’entrer dans un café et de commander un crème en regardant intensément une femme là-bas.
Ça se passe vers minuit — forcément — il a l’âge d’être fou et de n’écouter plus rien — il a l’âge d’arriver dans une ville et de se mettre à danser sur la place du village et de rire de ça — il a l’âge des routes et des nuits qu’il traverse sans fin — il a l’âge de garer sa vieille bagnole un soir derrière une rangée de pins sans faire de bruits et tous feux éteints — il a l’âge de poser ses mains sur le volant et de dire calme qu’on pourrait entrer dans la maison là — il a l’âge de passer une nuit au poste et ça ne serait pas la première fois mais rien ne tremble — il a l’âge de dire que c’est pour leur bien que c’est comme dans les films ou les contes il y a toujours un pauvre gars honnête pour aller voler des riches une nuit vers minuit — forcément — il a l’âge d’être indécis et de regarder la maison sans bouger sans plus parler puis de s’endormir ainsi.
Il a l’âge d’épuiser son compte en banque et de finir à sec entre deux continents un matin d’été — il a l’âge de croire encore aux cagnottes et aux jackpots et construit des mondes entiers dans sa tête en marchant sous le soleil — il a l’âge d’avoir un endroit pour y revenir et ça serait une maison par exemple — il a l’âge de se mettre au vert quelques jours quelques semaines quelques mois parfois — il a l’âge de dire avec une voix rassurante tant pour lui que pour ceux qui l’écoutent encore ça ne sera pas long c’est juste le temps de se refaire — il a l’âge de pousser la porte de cette maison ça serait un soir ou un matin forcément puis de demander s’il y a quelqu’un et de dire c’est moi en ouvrant le frigo pour y trouver autant de réconfort que dans la maison elle-même — il a l’âge alors de raconter des histoires mais elles sont toujours fausses puisque ce sont des histoires et c’est pour ça qu’on le croit et qu’on l’écoute en mangeant.
Une après-midi d’été dans un pays lointain où il faisait très chaud il était là — ce jour là il a l’âge de ne pas y croire de ne croire à rien ça arrive de temps en temps — il a l’âge de regarder les flammes bouger en tenant un morceau de viande à griller — il a l’âge de s’endormir usé à l’arrière d’une bagnole et de suer ainsi — il a l’âge de dire qu’il a hâte d’arriver dans la grande ville et qu’on ira directement voir les gens comme ils dansent ici dans la nuit — il a l’âge de courir et de ne plus vouloir s’arrêter l’âge de ne pas croire aux histoires qu’on raconte dans les vallées et les bouquins — il a l’âge d’essayer de lire un livre au moins un livre tous les ans mais de s’arrêter à chaque fois avant la fin — il a l’âge d’ignorer les châteaux les vieilles pierres et leurs histoires.
Une autre nuit — forcément puisque la nuit c’est son monde — il a l’âge d’être marin et d’imaginer traverser des océans comme ça — il a l’âge de croire aux histoires qu’on raconte sur les ports et au retour des longues traversées — il a l’âge de de raconter des histoires sur les ports les bateaux les marins et leurs longues traversées — il a l’âge de monter dans une barque et de dire que c’est un bateau d’en casser le moteur à coup de démarreur et de finir sa nuit ainsi à dériver sur un lac immobile — il a l’âge de regarder les caisses de poissons et de fruits de mer et de faire le dessin d’un festin avec ses mots et ses yeux.
À la fin d’un été — il s’est fait emmener dans le pays d’à côté — il a l’âge de prendre les devants et de marcher seul — il a l’âge d’aller voir la vie et de s’installer dans une petite chambre — il a l’âge d’aller de terrasse en terrasse et de rade en rade pour trouver un boulot — il a l’âge de briquer la machine à café tard le soir et toute sa passion est là — dans le geste qu’il tient pour briquer la machine à café — il a l’âge de se retrouver seul le soir sous les toits entre les bouteilles d’huiles et la réserve sur un petit lit et de penser — il a l’âge de construire une route là-bas et de trouver des plans pour rentrer de temps en temps — il a l’âge de dire à ses amis venez on pourrait tous vivre ici mais ça n’arrive pas et ça n’arrivera jamais peut-être.
Puis il a l’âge des nuits et des corps — il a l’âge de l’un ou de l’autre des femmes et des hommes et il les sent contre lui — il a l’âge d’essayer de nouvelles choses il dit il a l’âge d’être nu dans le lit d’une femme le matin et d’être nu dans le lit d’un homme le soir il a l’âge de trembler au réveil car il a faim — il a l’âge de passer plusieurs heures allongés dans les draps dans la chambre et puis de disparaître — il a l’âge de passer une nuit dans une chambre avec une femme par exemple et puis de disparaître avant que le jour — il a l’âge de marcher dans la rue un matin avec cette histoire à raconter sans même savoir pourquoi.
Un autre jour il a l’âge de passer un col — il a l’âge du silence et des absences quand on regarde les arbres derrière la vitre d’une bagnole — il a l’âge des cambouis et s’arrête sur le bitume il a l’âge des clopes et tire sur sa tige très fort et longtemps — il a l’âge de faire encore quelques kilomètres il a l’âge d’en faire un peu plus toujours un peu plus — il a l’âge de détester les cols et de ne pas supporter la contemplation — il a l’âge de cracher dans les herbes froides des montagnes de l’Europe pour ne pas dire ce qu’il pense il a l’âge de s’échapper une fois de plus et de ne plus parler il a l’âge des liquides qu’il va boire la nuit prochaine — il a l’âge de ne pas s’attarder de ne jamais s’attarder et de se lever chaque matin ailleurs puisque c’est cela — la vie.