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Entrer dans Čičov

jeudi 16 juillet 2015, par sebmenard

Nous avions voulu retrouver ce qui ne porte pas de nom — disons que ça ne portait pas de nom — où plutôt que nous voulions redonner un nom aux choses — ce n’est pas que les choses ne portent pas de nom mais plutôt que nous l’avions perdu — et nous avions cette sorte de précipitation lente à vouloir réapprendre le nom des choses.

On voulait promener nos faces vers l’Est et on imaginait que la solution apparaîtrait comme apparaissent les rêves aux matins et alors on garde en bouche un goût de langue et de route — une idée de poussière comme sa fatigue forte — celle qui nous fait tenir encore.

Alors on s’était dirigé vers les fleuves — on avait voulu remonter des fleuves descendre des fleuves chercher la source des fleuves — se mettre à l’eau dans les fleuves cuisiner là au bord des fleuves écouter les rafiots — on imaginait des fêtes des lumières et des types sans doute pour vivre là.

Voilà pourquoi nous étions entrés à Medved’ov.

Il pleuvait ce jour-là — il pleuvait une de ces petites pluies presque chaude et légère qui tombent parfois sur les routes de l’Est — une de ces petites pluies qui suffisent pour que l’asphalte brille et que des types attendent sous un arbre en tirant une tige en fouillant des poches — il pleuvait une de ces pluies qui donnent aux pneus des vélos des bagnoles un reflet brillant — aux herbes une odeur d’herbe — aux rades des allures de salons d’été.

En entrant dans un shop il y avait cette profusion de petites choses — l’alignement des paquets les prix — deux frigos pour tenir assez de bières de fromages et de yaourts — une radio presque silencieuse mais pas tout à fait — une porte à droite pour aller où.

On avait filé plus à l’Est car c’était notre truc et car il y avait la vérité sans doute un peu plus loin — nous avions passé Kl’účovec et les premiers bancs au bord des maisons — un homme pour porter sur son vélo et dans un sac quels trésors — un autre pour être là et regarder – en quittant la rue principale une longue langue de bitume laque filant au Sud entre les baraques et les bagnoles.

En entrant dans Čičov il y avait ces vieux bâtiments d’une autre époque et une odeur de fiente — les bêtes là sous les tôles sans doute — un camion de pompier devant — du béton éventré et un panneau pour signifier quoi — on ne comprenait pas vraiment la langue d’ici mais on filait — on filait jusqu’à un magasin et son nom en grand c’était Coop — la porte s’ouvre et on s’imagine d’autres temps mais tout est faux — tout est faux car nous ne savons rien et c’est ici et maintenant — une femme passe qui éteint la lampe d’un réfrigérateur — des viandes sont derrière une vitre — cinq ou six personnes pour discuter derrière un présentoir dans leur tenue blanche et Coop en lettres vertes sur la poitrine.

Nous avons suivi les panneaux Trávnik puis Kližka Nemá — nous avons roulé sous le soleil humide et tiède des journées de petites pluies de l’Est — nous avons nommé des routes et des baraques — nous avons noté la couleur des petites barrières (le vert usé — le rouge rouillé) — nous avons écouté le son d’un diesel noir et de la pierre d’un briquet — nous avons prétendu comprendre et nous nous sommes arrêtés dans un jardin pour enfants — un jardin entouré de sa clôture rouge vert jaune bleu — un jardin et ces jeux — un homme est venu qui poussait un vélo — son petit-fils (nous avons imaginé que c’était son petit fils) a pris le vélo et fait un tour du parc — l’homme a poussé l’enfant sur une balançoire en bois — un camion a hurlé d’acier et de gasoil — l’homme et l’enfant se sont parlés assis près d’une table en bois — nous avons imaginé des mots — derrière eux une église blanche éblouit — là un panneau indique le café K.K. à trois cent mètres — l’homme et l’enfant filent et reviennent — un type dort dans son fourgon blanc poussière — une grande berline accèlère — et nous nommons en silence ce qui doit être nommé.

Nous étions entrés dans Čičov mais si c’était une autre ville — quelle différence — nous étions entrés dans Čičov car c’était sur notre route et alors nous avions cru trouver exactement ce que nous cherchions.