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Nuits
lundi 14 septembre 2015, par
Ça commence vers le milieu de l’après-midi.
Parfois on en parle déjà au matin.
Les lieux de nos nuits se préparent se cherchent et surgissent comme des histoires — des morceaux qu’on tient en bouche sans connaître leur provenance.
Vers seize ou dix-sept heures on pense à l’eau.
On traverse des routes des chemins ou des bleds — c’est la même histoire : on pense à l’eau.
Cinq à six litres par personne : se restaurer — se laver — faire du thé.
On entre dans des villes des shops et des stations-essence — on cherche nos litres de flotte comme un trésor dont il faut toujours apprendre le nom.
On cherche parfois les villes les bleds ou les shops eux-mêmes — on compte des kilomètres — on jauge d’une altitude.
On cherche des légumes et des vivres — on cherche la caisse de fruits frais posées à l’entrée d’une baraque — devant un portail ou contre un mur — c’est là qu’on trouve nos pistes et les mots — une voix vient parfois de loin pour dire que c’est bon — elle arrive — et puis on a notre récit et nos poussières — la peau encore chaude des journées de soleil.
Il arrive qu’on demande une bière à l’entrée d’un rade — ou bien on emmène ça dans une canette une bouteille — on pense aussi au lendemain — des nourritures pour nos corps — nos repos.
On cherche un endroit.
On cherche un coin pour une nuit.
On observe le sol — les herbes et les terres.
On note la présence de ronces de roches et de sables.
On passe une main dans la prairie — sur une terre — dans le vent.
Il nous arrive de nous allonger une première fois — de se rouler un peu — écraser les touffes et vérifier d’une surface.
On observe le ciel et les arbres — on écoute le sens des vents et des ombres.
Le soleil — on cherche une course dans le ciel — on cherche un point de chute et on imagine un lieu de levé.
Chaleur : il nous arrive de choisir une ombre — un arbre par exemple — un roc une falaise — il nous arrive de chercher le sens des airs et des vents — il nous arrive de laisser grandes ouvertes les portes de notre cabane et que tout s’engouffre — garder aux frais nos nuits — sécher des gouttes.
Les bêtes : nous écoutons les chiens et les oiseaux — la nuit ils ont peur la nuit ils parlent la nuit — les bêtes remuent la nuit — on les cherche quand le jour est encore là — on écoute ce qu’en disent ceux qui vivent là — on décide d’une conduite à tenir — un sac de déchets à fermer et accrocher plus loin — des silences à tenir.
Il arrive qu’une bête apparaisse dans le noir : campagnols sortis d’une galerie ignorée — chien venu là s’assurer de quoi — vaches.
Maringouins : rien à faire.
Écrire là.
Parfois assis dans l’herbe et avec le ciel les bêtes — ce qui tourne encore autour.
Plus souvent dans la tente.
Lorsque tout est noir.
Alors tout remue à l’intérieur et le silence tombe — quelques minutes seulement — le silence de la nuit là - puis les vents se lèvent à nouveau puis les bêtes lentement — les unes après les autres sans doute — reprennent leur place de bêtes et nous alors.
J’ouvre Ulysses III — je passe en mode sombre — je descends la luminosité de l’écran au minimum — j’allume le rétro-éclairage du clavier au minimum — ça s’enfonce les mots.
Nos nuits sont pleines et doivent être calmes — nos nuits sont déjà nos routes du lendemain.
Il arrive que je reprenne la machine juste avant le jour — lorsqu’il est encore temps de s’enfoncer dans les mots de la nuit — lorsqu’il est encore temps de se laisser envahir du rêve — lorsqu’il est encore temps d’attraper ce que notre langue a de tremblé inhabituel — se réserver plus souvent ces moments-là — ils sont essentiels — nos nuits comme nos aubes sont nos récits.