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Vasset, Philippe | Un livre blanc

vendredi 27 octobre 2017, par sebmenard

 

 

 

 J’ai commencé à m’intéresser aux cartes quand j’ai compris qu’elles n’entrenaient que des rapports très lointains avec le réel. Séchés, découpés, compressés, coloriés, annotés, les lieux y sont comme des ailes de papillons dans un album : des trophées à manipuler avec précaution. 

p. 9

 

 

 

 J’écrivais comme on shoote dans des boîtes de conserve, lançant des phrases contre tout ce qui apparaissait. Je notais les trajectoires (glissement à gauche / craquement à droite) et ce qui fuyait à l’extrême limite de la vision (éclats, ombre, couleur). Ça a produit une liasse de fueilles griffonnées que je me promets régulièrement de classer, sans jamais toutefois pouvoir m’y résoudre. Résultat, quand je recherche un texte sur la découverte d’un fût d’une substance particulièrement malodorante, je tombe à la place sur ceci : « Sombres et mous comme de grands sacs-poubelles, les corps des deux grands chiens allongés sous un arbre. Ils semblent ronfler, mais c’est le bourdonnement des mouches : leur gueule est largement ouverte sur une langue blanchie, leur pelage écorché par les rongeurs et leurs yeux vitreux. »

p. 55

 

 

 

À errer sur ces périmètres vacants où rien n’accrochait le regard, j’éprouvais le même sentiment de flottement qu’à la lecture des Corps conducteurs de Claude Simon ou de L’Inquisitoire de Robert Pinget, textes qui ne comportent pas de perspective clairement ménagée mais déploient, telles des cartes, leurs minutieuses descriptions dans toutes les directions et où chaque détail, même le plus triviail, est riche d’un mystère jamais épuisé. Pareils livres manifestent l’étendue, contrairement aux récits de voyage, qui se contentent de réduire l’espace à un itinéraire et d’aligner dates et noms comme on collectionne les cartes postales. 

pp. 99-100

 

 

 

La tentation d’inventer ce que je n’arrivais pas à identifier était grande, mais y céder m’aurait conduit à écrire un roman, et je voulais autre chose : une réalité trouée, friable et infiniment plus mystérieuse que n’importe quelle histoire inventée.

p. 102

 

 

 


Vasset, Philippe, Un livre blanc, 2007, Fayard.