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Vinau, Thomas | Il y a des monstres qui sont très beaux
vendredi 12 mai 2017, par
« un ours qui cherche
Un ours qui cherche
comment rentrer chez lui
errance hirsute
silhouette cabossée
toute l’ombre qui le suitUn ours qui marche
longtemps
pour s’inventer un refugeUn ours qui cherche
se cache n’importe où
derrière les ailes d’abeilles
dans les sabots du vent
dans la viande et l’humus
au fond de ton sourireLa nuit
l’ours qui cherche
rentre chez lui
éternellementParfois le sang des autres
forme comme des larmes rouges
au bord de ses paupières
Il est l’orphelin
des prairies sombres
le souverain
des hurlementsIl fouille dans les cascades
les épines
les souvenirsDerrière lui
on remonte la piste
ses traces lourdes
de mélancolie
à cinq griffesUn ours qui cherche
on ne sait pas s’il danse
ou s’il souffreOn ne sait pas ce qui pousse
dans son ventre
une saison
du foutre
la colère
un oursonIl est une montagne
qui chante en s’effondrant
un météore
affaméIl avance pour gifler
le vide qui le dévore
sous les couverturesÀ gémir
à rire
ou à grogner
ce qui revient au mêmele long de ton échine
il déchire
son paysagesa langue
lèche
rape
les petites baies glacées
de nos orbitesSa faim
nous consoleDans la forêt
dans la fourrure
d’une charogne
Dans l’appétit qui le dévore
dans l’enfantementDans l’immense
dévastation
de son amour »
pp. 10-14
« Mon ombre et l’ombre du chien
Mon ombre et l’ombre du chien
On avance
Et c’est comme
De recoudre
La peau jaune
De la nuitMon ombre et l’ombre du chien
Nos babines
retroussées
Puis figées
À l’affûtMon ombre et l’ombre du chien
On patiente
On pisse
On farfouille
Dans le froid
De vos rêvesMon ombre et l’ombre du chien
Charognant
Vos carcasses
EndormiesMon ombre et l’ombre du chien
L’a pas peur
L’a pas mal
L’est pas tout seul
L’a toute une meute
Noire
Dans son dosMon ombre et l’ombre du chien
On avance
Et ça grogne
Ça rugît
Déchiquette
La ville
La pluie
Le cocon des réverbèresMon ombre et l’ombre du chien
On propage
Rogne lune
Comme l’os
Fouille sous
Le tapis
Des étoiles
En décombresMon ombre et l’ombre du chien
Dans les rues
Dans les caves
Terrains vagues
Sous le litMon ombre et l’ombre du chien
Nos papattes
Dégeulasses
Qui creucreusent
Les yeux clos
Le gros bloc
Bien solide
De frayeurMon ombre et l’ombre du chien
La crête blanche
De nos crocs
Nos poils bistre
Hérissés
Qui peuvent parfois brillerMon ombre et l’ombre du chien
À laper
Petites langues
Râpeuses
Au bord du ventre
Des filles endormisMon ombre et l’ombre du chien
Toute une meute
Toute une flaque
Sanguinolente
On a faim
Pas sommeil
À hurlerMon ombre et l’ombre du chien
Plus on est seul
Plus ça fait de bruit »
pp. 32-36
Vinau, Thomas, 2017, Il y a des monstres qui sont très bons, Le Castor Astral.