à paraître chez les éditions « cartoneras » La Marge.
des voix qui comptent : Daniel Biga, Roger Lahu, Jean-Pascal Dubost, Antoine Emaz, Fred Griot… et beaucoup d’autres.
d’herbe de montagne et d’air frais
roche
nous avancions sur un chemin
les pieds l’un après l’autre les pieds avancent et tracent ou plutôt suivent la trace
qu’importe
le nom des sommets d’alors
cela pouvait durer longtemps
très longtemps
et ce longtemps me semblait
éternel
◉
sur le bureau en bois à l’école
je recopie des lettres
il y a un livre ouvert à côté
je recopie des mots
intensément
(cette histoire d’un joueur de flûte et les animaux marchent à sa suite)
rien n’arrivera
ensuite
◉
déjà petit
je pensais
à demain
mais
« moins »
◉
Le soir nous partions à vélo pour le tour des Chasnières par exemple ou bien le nom d’un autre chemin, celui d’un lieu-dit ou encore, le patronyme de ceux qui habitaient cette ferme là-bas. C’était généralement après le repas. Cela durait quelques heures parfois. Je sens bien ceci : il y a un début (nous quittons la maison et il fait jour), puis il y a une fin (nous allumons la dynamo des vélos, il fait nuit, nous rentrons). Mais cela ne dure pas. Cela ne dure pas et se reproduira tant qu’il fera beau (parfois même il pleuvait et nous étions partis, nous avions des K-ways et chacun connaissait les abris, on pourrait s’attendre aux abris).
◉
il pleut
nous ramassons des baies
il y a une route
nous ramassons plusieurs sacs de baies des myrtilles
après la confiture est encore chaude
◉
les détails
la tendresse
◉
Je me lève et je pense au poème. C’est le poème de l’enfance. C’est le poème de la childhood oubliée. Des temps qui ne se nomment pas. J’ai le poème de l’enfance. J’ai le poème d’un gap immense entre nos mondes. Que s’est-il passé ? Je silence. Oud. Le titre s’appelle : Safar. Dix-huit minutes et huit secondes.
◉
notre désir de tendresse est infini
◉
est-ce que
tu t’appartiens
toi
là
ici
et maintenant
qui s’appartenons-nous ?
de qui ?
nous deux
eux
et
tous
s’appartenir
les uns les unes et tous
rappelle-toi
s’appartiendre
tiendez
« amenez vos auges » répétions-nous en riant (mais pour les épinards quand même ça a mis du temps)
◉
Quand nous serons grands elle et moi et les enfants nous aurons une cabane et nous l’habiterons, nous tendres et tous là dans un même remue-détails tendres et doux et soupes et raw1 comme des bêtes à cru à cheval de nos vies, assez de pat2 de pageots de places pour tous et cela sera sans fin c’est déjà là, tout a commencé n’as-tu rien vu ?
◉
« la tortue la tortue ! »
c’était le jeu
entre les fraisiers et les artichauts
on devait trouver la tortue
quel âge a-t-elle je demandais toujours j’oubliais
ça
et beaucoup d’autres choses
◉
chaque soir pourtant
la nuit
finit par s’allumer
& lampes & moultes & tous néons nuits des banques & shops & bagnoles & phares s’accélèrent tous
(Une nuit quelqu’un jette sa tête contre la mienne, je ne bouge pas, cela dure quelques secondes, rien de plus, mais je ne bouge pas, il cogne un coup, ça fait mal, mais je ne bouge pas, je souris, mon vieux copain à côté n’a pu s’empêcher bien sûr, qui aurait pu s’empêcher, comment s’empêcher, ce dont je me souviens : c’était jaune orange, et quelques secondes. Après on dit qu’on aurait aimé parler un peu se comprendre.)
chaque soir pourtant
la nuit
finit par s’allumer
◉
« faire les patates » ça voulait dire
derrière le tracteur
avec des seaux en plastique et les mains terre
comme ça à remplir des seaux
ensuite
on versait dans la vieille maison
elle s’appelait la vieille maison
les patates comme les « mémères » patates
on disait ça pour les grosses patates
et ça faisait un tas
de patates
tout un tas de poèmes
◉
« aussi »
sur une île
il pleut
et les pieds
dans l’herbe
humide
de l’île
d’énormes pommes
assez énormes
pour inventer
un nom
aux pommes
et les soulever
souvenirs
qu’on répète
(quelqu’un est allongé dans une voiture une Renault Super 5)
et donc
tout a-t-il disparu ton thé ton nez ta toux du jour tadam et pluie
les énormes pommes les Super 5 & les souvenirs ?
◉
Nous sauvages et qui dormons bêtes comme des bêtes (une nuit un sanglier nous avions dit un sanglier hurle à quelques mètres), enfin nous revoici l’un l’autre et contre, deux corps dans la nuit et sous une lune jaune, enfin, ça sent les herbes et la forêt, enfin, ça sent la sueur et l’eau, c’est quand même quelque chose les milliers de kilomètres et de poussière qu’il faut se taper pour comprendre un peu (d’un oeil j’essaie de regarder : est-ce bien un sanglier), habiter le temps voilà mon poème de la tendresse et d’amour habitons-nous l’un l’autre allumons un feu de camp.
◉
petit dit-on
je me roulais dans la poussière
fâché
entièrement fâché
(je n’ai
aucun
souvenir
de ces temps)
◉
J’avais fini par arriver sur un autre continent. Ça n’avait pas été simple. C’était difficile. C’était tellement différent. Il faisait très chaud. Certains disent que cet été-là, il avait fait plus de cinquante degrés. À un moment j’avais pleuré. J’étais là. Terriblement là. Et affreusement absent. J’avais dit que je voulais parler. Je ne savais absolument pas de quoi. Mais il fallait parler. Le silence. Le temps. C’était ça. Et puis il y avait demain. Quelle horreur. Avec mon vieux pote on a bu une bouteille de Vodka dans la nuit. La Vodka n’a servi a rien. Mais les mots de mon vieux pote, ils parlent encore.
◉
nous avions choisi de traverser un continent
il me semblait alors
parfois
par moment
que cette histoire pouvait durer
tellement longtemps
◉
Or donc il y a cette photographie nous étions sur la route de l’Est une fois de plus à courir après quel monstre ou bien c’étions nous les monstres — il y a dix ans mon vieux c’était il y a dix ans est-ce que les monstres vieillissent encore après dix ans — et pied d’accélération nos gueules contre vitre et fumée et d’haleine en suée fond’d’cale on disait épuisions-nous d’asphalte en piste tant nos corps que le temps qui lui-même — t’en rappelles-tu — bon dia la charge on disait on dirait dirons-nous disons que le temps lui-même s’était pris pour la lune.
◉
c’est tout simplement qu’il me faut
trois à quatre heures
de mots
par jour
(il faut il faut il faut
c’est lourd dit le poète il faut toujours
il faut
te taire je voulais dire
et d’heure jamais plus tu ne parleras)
◉
quelqu’un me demande
si parfois
j’ai l’impression
de devoir
écrire
quelque chose
par exemple
il rajoute
◉
Pourquoi écrire & tout ça je me demande même pas ni n’écris plus ne tout ça — le dit quand même c’est comme tendresse ou même faire des câlins sans les bras mais presque avec les yeux au moins — quand même c’est une bonne raison de tenir et puis suffit de sentir le vent c’est tout beau tout ça tout ça tout ça je t’aime d’amour ça veut dire.
◉
ici et maintenant
nous en sommes
exactement
au moment
de choisir
du temps des villes
de celui des cabanes
or donc c’est du blabla
de gens de corps
vieille bête tu ne sauras jamais rien c’est temps mieux coup-ci coup ça tous au vert
◉
la terre est en train de crever à une vitesse
ahurissante
que faisons-nous ?
◉
Adoncques de tissus de morceaux de bois de coussins poussières et d’histoires racontées à braves renforts de bras et de soleil — de brassées de mots (déjà des mots) — nous construisions patiemment la cabane du jour d’hui sachant voui qu’elle ne passerait l’automne — mais qu’importe c’était loin l’automne tellement loin l’automne et nul permis d’y construire une cabane à notre terrain de jardin de bois de champs de quoi qui vaille nous aille.
◉
(si seulement vous avions le temps)
◉
ce jour-là
je ne m’étais pas levé
« en avance »
j’étais là
cul dans l’herbe
et poussière
j’étais
à l’heure
très exactement
l’air frais soufflait autour
des brindilles
poussées
peut-être
j’attendais j’observais
sans bouger
« ici et maintenant »
« entier »
une bête là-bas
sans doute chevreuil
et ils finirent par arriver
les voilà les voilà
les premiers rayons du soleil
là
un à un
sur nos peaux
et toute entière cette histoire ce poème
la vie la vie elle-même
semblait se recomposer dans cet instant
simplement ça
auquel il conviendrait
de n’y rien ajouter
remarque post-solaire :
est-il
encore
temps ?