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Un été sur le bitume et dans les Balkans dans une odeur d’asphalte de gasoil et de clopes

vendredi 7 août 2015, par sebmenard

J’ai des images de ça. Ce sont de vieilles images. Les négatifs sont rangés dans un classeur trop plein — le classeur dans un carton — le carton dans un garage ou dans un grenier — à quelques milliers de kilomètres.

C’était un été et on cherchait comme des dingues ce que nous avions déjà là — mais on filait quand même et c’est ainsi.

Alors un été sur le bitume et dans les Balkans dans une odeur d’asphalte de gasoil et de clopes on filait plein Est arrimé au diesel de notre carlingue — lorsque le jour commence à tomber on écoute encore un peu une radio (le type dans son kiosque rouge vend des paquets de clopes des sodas et sa radio derrière) — on cherche le nom des villes et celui des routes — sous les pneus claquent les raccords du bitume et du béton.

Mais il faut dire comme on traverse ces zones en travaux — langue d’asphalte et de poussière — cabanes de chantiers plastique et feu de broussailles — un type sur son scooter écrase ses pneus comme les gravats traînant là — la poussière se soulève et il porte entre ses jambes six bouteilles de bière — six bouteilles d’un litre cinq de bière. Il faut dire comme les camions — T.I.R. sur la porte arrière et fumée noire dans le jaune poussière — attendent ou filent les trucks à travers le continent — on arrivait à une de ces frontières elle nous faisait trembler et on doublait une longue file de remorques — les chauffeurs ils attendaient parfois l’oeil à l’avant parfois à côté de leur engin pour griller une saucisse ou penser quoi. Il faut dire comme l’asphalte disparaît et laisse une piste sous les roues — les panneaux autour dans une langue quelle langue — d’autres encore très clairement expliquaient qu’un pied posé là suffirait à tout faire exploser — en face les drapeaux d’une marque de bière flottent sur la terrasse d’un rade — un feu est allumé sous le grill. Il faut dire comme on imagine une station essence — un shop un endroit pour une pause — et comme tout disparaît sous la rouille et les impacts de leurs munitions — le béton lui-même craque et s’effrite — il faut dire comme les peintures passent au soleil des étés de plus en plus chaud — comme les boues éclaboussent les murs qu’ils avaient peints blanc ou les lettrages des rêves des autres époques. Il faut dire comme on avait l’oeil dans le viseur de nos appareils et c’était pour ramener quelle histoire — une histoire suffirait-elle — on cherchait les images de nos visions et elles apparaissaient souvent plus rapides que nos visions elle-mêmes — alors on déclenchait et ça défilait le film la bande de nos routes. Il faut dire comme une main ouvre un coffre un passeport — comme un regard parcourt un habitacle et prononce un nom un prénom et souffle son clope entre canicule et habitacle — une voiture se vide de son chargement — un homme signifie une règle un chiffre une monnaie — un silence s’étale entre poussière et immobilité — personne ni rien ne presse ce qui a lieu là — et l’Europe entière se recompose dans la barrière rouillée qui s’ouvre et se ferme à quelques mètres des diesels encore chauds.

Quelques kilomètres après les frontières des zones de l’est tout s’étire dans le bitume et la poussière — la rouille est là qui ronge les ferrailles et les champs restent seuls traces des hommes sinon quelques croix au bord de l’asphalte — peu à peu les lieux reprennent leurs histoires de lieux de l’est — une charrette file au galop de son cheval — un poste radio diffuse un vieux son dans l’ombre d’une terrasse à demi-occupée — on cherche un instrument comme on cherche un poème — derrière la vitre des frigos les bouteilles attendent la soif des dingues et des aurores.

Cette histoire de frontières — cette histoire de barrières — des murs dans les têtes et puis c’est marre.