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Le dit du bois de Kobylka

dimanche 29 avril 2018, par sebmenard

or je suis le bois de Kobylka

je suis le bois de Kobylka
et ces pages sont à la forêt — au carbone
aux mousses et aux bêtes

ces pages sont aux errants — aux cailloux
aux poussières — à l’humus

elles sont à la pourriture ligneuse
aux lichens, lichens — aux rongeurs

ces pages sont aux noms des bois
à ceux des forêts
tout autant qu’aux innommés

ces pages sont aux bruyères — aux fougères
aux tourbes et aux lombrics
elles sont aux terriers — elles sont à l’irrégularité
à l’imprévu
au perpétuel
à l’enfoui — au très très enfoui

ces pages sont aux crasses
aux nanoparticules
de plastique
et aux simples comestibles

ces pages sont à la transmission
aux cercles de feu
aux clairières
elles reviennent aux tisanes de conifères
à l’expression des silences
et au tambour
chamanique

oui —

oui — je suis le bois de Kobylka
et je suis chargé du dit
je suis chargé de cela
et je m’en acquitte ici

c’est —

c’est cette vérité
cette vérité que je suis venue apporter
car ici j’abrite vos semblables
les oubliés
les disparus
les lointains
les silhouettes
j’abrite ceux qui ont perdu leur nom
et le lieu du sommeil
les inconnus — les derniers endormis
les soulevés — ceux qui marchent encore

je suis le bois Kobylka
et je n’ai pas peur du poème
je n’ai pas peur du mot
je n’ai pas peur de la page

j’ai là en moi enfouis
des millénaires de bêtises
et d’amour
ça se mélange
ça se mélange dans le carbone
dans le mycélium
dans les bactéries
rongeur rongé
le bois de Kobylka
ça voilà j’ai tout senti et je continue
debout

les coups de ciseaux sur l’écorce d’un chêne
le sac plastique laissé au bord du chemin
la bête morte qu’une famille est venue enterrer
les pleurs d’un vieil homme un après-midi d’été et ceux d’un chien — abasourdi
j’ai vu encore les diésels me traverser
les dépôts d’ordures
l’errance d’une femme
les corps nus l’un contre l’autre
les feux de camp
les paniers de champignon
et la peur des bêtes
l’éternelle peur des bêtes
leur repli
refuge
abri

voilà
tout est là

j’étais le bois de Kobylka