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Biga, Daniel | L’Amour d’Amirat

mardi 27 juin 2017, par sebmenard

 « J’écris ce livre pour que d’autres un jour s’y reconnaissent comme moi je me reconnais dans les autres
J’écris ce livre pour que d’autres un jour y reconnaissent leur différence comme je reconnais ma différence dans les autres
J’écris mes livres pour que d’autres un jour par accord comme par opposition y puissent mieux définir leur « étrangeté légitime » comme tous les êtres tous les livres m’aident à mieux définir mon « étrangeté légitime »

p. 27

 

 

 

 « ma femme et ma fille parties après quelques jours passés ici — elles me quittent encore le pas n’est pas franchi — le logis a changé de visage. Ma fille folle rieuse « danse papa ! danse ! cours ! cours après la voiture papa ! dis papa Daniel pourquoi tu viens pas avec nous ? » Jeanne qui rit Jeanne qui pleure — la guimbarde cahotant sur la piste grands signes de main grimaces de singes cris de jungle pour que Jeanne rit…
plus plus rien moi chantant fort et sifflant « O sole mio » sous la pluie tenace… Cette vie que je me suis choisie Oui mais… remontant vers la montagne froide — éboulis glissades chutes — les solitudes — l’immensité qui me monte à la tête d’autres fois m’écrase… rentrant triste et gai vers ma hutte ma cabane mon refuge mon terrier mon phare mon sémaphore mon belvédère à mi-pente dans ce monde peuplé à crever grouillant de vies avalanches de fleurs cascades d’insectes… mais unique de ma race sans voix autre semblable à la mienne »

p.50

 

 

 

 « Ce pays où l’olivier et le vignoble ont disparu pour la prairie dans la forêt — un peu plus loin un peu plus haut n’est qu’à 80 kilomètres du pays de mon enfance varoise aujourd’hui trop envahi et trop chèrement vendu… il a fallu reculer jusqu’ici pour retrouver les pistes non goudronnées les sentiers pédestres la lampe à pétrole les veilleuses à huile l’eau (pas du puits ici mais de la source) la cuisine et le chauffage au bois le « petit coin » dans les arbres le compost les siestes sous les buissons tous les outils à main les claies où sèchent les herbes odorantes le tilleul les girolles les sanguins les baies les fruits — quand il y en a ! — l’ail sauvage « mes » pommes de terre… retrouvés les confitures maison les stérilisés le kéfir boisson hygiénique le « brousse » et le caillé bientôt le pain complet cuit dans le vieux four les boîtes (café, thé, chocolat, farine, sucre, « ça dépend ») rangées sur la cheminée le papier d’Arménie pour purifier l’air les odeurs les idées le garde-manger dans la cave le papier tue-mouches auquel on se cogne se colle dans la cuisine basse le banc sous le sureau au seuil de la maison — là-as c’était un mûrier — … de minces différences des ressemblances à l’infini… »

p. 56

 

 

 

 « Vivre ici à 500 F par mois ou continuer à 3000 F en ville l’alternative était extrêmement simple dans sa formulation terriblement complexe à résoudre pratiquement
Le choix peu à peu me devint évident ; je ne pouvais plus m’y soustraire Mais ces 500 F par mois encore faudra-t-il se les procurer Comment ? culture artisanat écriture accueil estival ? Cela se résoudra mais n’est pas encore assuré Ne le sera peut-être jamais ! »

p.57

 

 

 

 « planter planter planter il n’y a qu’à planter et semer
que ce soit des arbres des légumes des enfants
des livres des maisons des domaines imaginaires ou matérialisés
des rêves des visions des voyages
il faut planter »

p. 68

 

 

 

 « (boire à la source se baigner au torrent)

le monde est simple comme l’évidence
plus ça va plus il me bouleverse »

p. 92

 

 

 

 « Mais il faut Veiller ! toujours veiller ! casser les chaînes des habitudes… depuis quelques temps je travaillais sans goût dans la routine Ni écriture ni jardin ni maison aucun des 101 travaux coutumiers ne me disaient plus Enfin j’ai compris : je m’enfermais lourdement… alors urgent ou pas j’ai tout laissé Sur mon cyclo je suis allé à Gars — village natal de Célestin Freinet et dans cette belle nature j’ai deviné cet enfant qui deviendrait un des maîtres de la pédagogie libre… — Gars n’est jamais qu’à 7 ou 8 km de chez moi mais beaucoup de changements déjà : qu’elle était verte ma vallée ! je n’y ai rendu visite à personne — juste discuté le coup avec un vieux berger qui gardait ses derniers moutons — je me suis promené dans la forêt puis au bord de l’Estéron L’eau ! l’eau ! contemplation sur un rocher au milieu de la rivière : eau-lumière-soleil m’y suis trempé nu Envahi Éclaté »

p. 93

 

 

 


Biga, Daniel, 1984, L’amour d’Amirat, Le Cherche-Midi Éditeur.