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Volodine, Antoine | Le nom des singes

mercredi 13 janvier 2016, par sebmenard

Nous étions assis. Derrière nous la forêt se dressait hostile. Après quelques temps Gutturiez redémarra son numéro de marmonnage, cataloguant les palmes de la toitures puis nommant par parquet de quinze les palmiers en général, qu’ils fussent ou non présents au-dessus de nous. Le purumã, marmonnait-il, l’ucuriaguaçú, le jassytara, la putauá, l’açai dont les fruits sont pressables et donnent une boisson rafraîchissante, du moins quand on peut la servir fraîche, c’est-à-dire jamais, le batantám à noix ures, le mucumucu, le jiriba, l’uricuri, autre cocotier, le bubunha, autre cocotier, le bataiporam, qui n’est rien d’autre qu’un petit butia, le caiané, le babaçu, autre cocotier, le geriba, épineux en diable, l’indaiá, le mucajá, le jarina qui produit des graines très résistantes, très noires.

(p.212-213)


Au chapitre suivant, la progression est routinière.

Quand le jour se levait je remarquais en haut des arbres les guandiras géantes. Dans le feuillage elles ressemblaient à de grosses lanternes osseuses. Je ne les avais pas vues apparaître la veille et elles n’avaient signalé leur présence nocture par aucun cri, mais au petit matin elles étaient là, suspendues en posture de songe, déjà drapées, statiques. Les traces montraient qu’elles avaient passé la nuit avec nous. Le campement était parsemé de leurs déjections.

Je m’extrayais du hamac et j’allais réveiller Gutierrez. Le démobilisé ouvrait l’oeil et me demandait combien de jours de navigation nous séparaient encore de Puesto Libertad. Je le corrigeais, lui rappelant qu’à jamais nous avions laissé derrière nous Puesto Lbertad, et que notre but était désormais de fonder Juaupes, une commune égalitariste, et de construire en amont de l’Abacau un dispensaire pour les Cocambos et les Jabaanas malades ou survivants, et d’instaurer là une municipalité chamanique et révolutionnaire.

Tais-toi Golpiez, disait-il. Depuis le début du t’es trompé sur nos objectifs.

(p. 227)


Volodine, Antoine, Le nom des singes, 1994, Éditions de Minuit.