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On entre dans un taxi après combien de temps à faire du pouce

mardi 27 octobre 2015, par sebmenard

On entre dans un taxi après combien de temps à faire du pouce (mais ce n’est pas du pouce : on agite la main de haut en bas comme pour dire à une bagnole de freiner — c’est comme ça qu’ils font ici — et pas question de lever son pouce).

On attendait un taxi dans la nuit au pied des Carpates et c’était l’automne. On commençait à avoir froid dans cette nuit déjà là — nul chien pour gueuler dans le noir mais des lampadaires jaune orange et des bagnoles pour cracher leur saloperie de gasoil — est-ce qu’on pourrait faire un livre de ça ?

Genre on entre dans un taxi après combien de temps à faire du pouce et les portes claquent — on s’enfonce dans des sièges bien chauds et la radio distille Layla d’Eric Clapton.

Alors je pense immédiatement à mon vieux pote A. de l’autre bout du continent — alors je me dis qu’il fallait bien faire du pouce au pied des Carpates un vendredi soir d’automne et dans le froid — puis entrer dans un taxi surchauffé et écouter Layla d’Eric Clapton pour que cette histoire tienne — pour que nos routes de l’est portent leur nom — pour qu’on avance encore un peu — et pour qu’on puisse rentrer au chaud cette nuit-là et allumer un feu dans le poêle en chantant Layla dans sa tête.

Il y a plus de dix ans on chantait parfois Layla dans la nuit et on connaissait les paroles par coeur — certains jouaient à la guitare et tordaient leur bouche dans le noir — d’autres essayaient de dire les paroles de Layla. Tout le monde pour préciser qu’on préfère la version de Dereck and the Dominos. Mais personne pour chanter comme ça et hop suffit — on fait l’autre version. Puis quelqu’un disait « maintenant on fait Tears in heaven » — on préférait tous Tears in heaven.

Qui pour écouter encore des trucs d’Eric Clapton — sans doute un vieux taxi au pieds des Carpates — sans doute nos peurs comme nos souvenirs — parce que déjà en ce temps-là on allumait des feux on faisait les indiens sans nom on s’imaginait qu’on traversait des continents comme ça — on bougeait pas et on pensait pas que c’était possible les choses et qu’il était temps d’arrêter de chanter des trucs d’Eric Clapton dans la nuit.

Aujourd’hui si on se mettait tous autour d’un feu qu’il soit au pied des Carpates ou devant la cabane de notre ami A. — peut-être qu’on chanterait quand même un truc d’Eric Clapton et qu’on pourrait raconter cette histoire de taxi dans la nuit de l’est.

La question de savoir quelle dose de fiction on peut se permettre dans nos histoires est une vraie question — et je ne me la suis pas assez posée.